[Confédération][3] Semper et Ubique
Par : Gregor
Genre : Science-Fiction , Action
Status : C'est compliqué
Note :
Chapitre 24
Publié le 04/05/14 à 16:08:30 par Gregor
SECONDE PARTIE
1.
2163.
Antarès-Douze les attirait dans ses filets. Le grumeau accroché à son orbite incertaine, masse sèche veinée d'océans lapis et piquetée de sombre oasis, semblait aussi accueillant que la mort. Longtemps, Flinn se demanda quand la limite entre l'espace et cette planète maudite fut franchie, quels indicateurs ou quelles marges avaient pu lui montrer qu'ils avaient basculé. La rotondité gourde, embrumée de nuages d'altitudes tourmentés par de furieuses tempêtes ne choquaient ni son œil, ni son esprit. D'une certaine façon, il s'était attendu à rencontrer physiquement la cruauté d'un monde qui avait su briser un être prodigieux.
Ce fut ici que mourut le Très Saint Magister Oddarick.
Confortablement blotti dans le lacis de câbles et celui du champ des répulseurs gravitationnels étudiés pour maintenir son corps loin des surfaces froides de la cabine, il observait d'un œil vide ce monde se rapprocher de lui. Son attention dérivait plus particulièrement vers un défi moral qui l'accaparait depuis une vingtaine d'heures. Noms et visages défilaient sur les projections tièdes de l'holo, entrant et sortant d'un geste impérieux de ses pattes engoncées dans de lourds gantelets argentés. Il grognait sourdement, l'air maussade, tandis que les indications filaient à une cadence inhumaine. L'équipage tout entier lui posait un défi. Pourtant assermentée, la masse des besogneux éveillait en lui ce malaise en forme de mauvaise humeur. Du plus humble serviteur mécanisé pour avoir commis une faute grave jusqu'à l'amiral noblement converti, fils d'officier et homme de confiance s'étant octroyé les bonnes grâces de la Sainte Cléricature, tous étaient de potentiels traîtres. Après tout, cette large troupe ne se rendait-elle pas là où la Mystère demeurait entier ? N'était-ce pas un bon prétexte pour tenter une action d'éclat comme il n'y en avait pas eu depuis une trentaine d'années, comme à Vladivostok ? Flinn savait qu'il n'aurait pas dû être si méfiant et si sauvage, que sa nature animale n'était pas une raison valable à ce déchaînement de suspicion et d'interrogations qui menaient son enquête vers d'insondables puits d'ignorance. Il savait tout cela, mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Même hors d'une mission, un Inquisiteur restait un Inquisiteur : une force fine du culte Mécaniste, un Noble Clerc formé au pire pour détruire l'abject et l'hérétique. Alors, convaincu de la nécessité de sa tâche, il se concentra à nouveau, son mufle noir d'ours porté sur la projection. Un coup retentit contre la porte de la cabine. Il grommela, marmonnant noms d'oiseaux et insultes légères entre ses crocs, avant d'abdiquer.
— Entrez donc.
L'hui métallique se déroba. La figure hâve de Cyrill Beik se présenta, un sourire familier sur les lèvres, son regard illuminé par la coloration lumineuse des implants oculaires. Une couronne de cheveux gris et un bouc soigneusement taillé contrastaient avec la tenue austère, une cape sans insignes et des bottes de cuir noir tout aussi terne. Le Major Inquisiteur Beik, figure de la docte mécaniste et officier notoirement connu pour son sadisme n'effrayait pas Flinn. Bien au contraire. Le même sourire teinté de cynisme illumina son visage, révélant le trait épais de ses babines, qu'un spasme anima discrètement pendant quelques instants.
— Cyrill, je ne vous attendais plus, grogna joyeusement Flinn.
— Tu connais le système, Flinn. Des vérifications dans tous les sens, le vaisseau qui dérive parfois légèrement, des cybernautes trop occupés, et puis une ou deux affaires de boisson ou de drogue.
— Sale temps pour le plaisir, ironisa le Naneyë.
— Et bonne époque pour les affaires de la Sainte Cléricature. De ton côté, avances-tu ?
L’intéressé secoua la tête.
— Hélas, non. J'ai eu beau fouiller tous les dossiers fournis pour le Rezo local, aucun élément n'indique la trace d'un traître à bord. Peut-être que le serviteur avait juste des hallucinations, après tout.
— Des hallucinations ?
Cyrill se rembrunit.
— Un serviteur mécanisé, complètement dépendant du Dieu-Machine, incapable de ressentir ne serait-ce qu'un ersatz de sentiment, avoir des hallucinations ?
— Pardonnez-moi, Cyrill.
— Si tu n'étais pas Flinn et que je ne te connaissais pas si bien, tu aurais révisé tes classiques, crois-moi, siffla Cyrill. N'oublie pas où nous allons. N'oublie pas quelle date approche. Et n'oublie pas que la Sainte Cléricature ne fléchit et ne regrette jamais.
— Bien sûr, concéda Flinn.
— Il n'y a pas d'erreurs possibles. Alors reprends ta tâche.
Cyrill tourna les talons, laissant son ancien apprenti seul dans la semi-obscurité de la cabine. Avec un soupir résigné, Flinn se replongea dans ses projections.
1.
2163.
Antarès-Douze les attirait dans ses filets. Le grumeau accroché à son orbite incertaine, masse sèche veinée d'océans lapis et piquetée de sombre oasis, semblait aussi accueillant que la mort. Longtemps, Flinn se demanda quand la limite entre l'espace et cette planète maudite fut franchie, quels indicateurs ou quelles marges avaient pu lui montrer qu'ils avaient basculé. La rotondité gourde, embrumée de nuages d'altitudes tourmentés par de furieuses tempêtes ne choquaient ni son œil, ni son esprit. D'une certaine façon, il s'était attendu à rencontrer physiquement la cruauté d'un monde qui avait su briser un être prodigieux.
Ce fut ici que mourut le Très Saint Magister Oddarick.
Confortablement blotti dans le lacis de câbles et celui du champ des répulseurs gravitationnels étudiés pour maintenir son corps loin des surfaces froides de la cabine, il observait d'un œil vide ce monde se rapprocher de lui. Son attention dérivait plus particulièrement vers un défi moral qui l'accaparait depuis une vingtaine d'heures. Noms et visages défilaient sur les projections tièdes de l'holo, entrant et sortant d'un geste impérieux de ses pattes engoncées dans de lourds gantelets argentés. Il grognait sourdement, l'air maussade, tandis que les indications filaient à une cadence inhumaine. L'équipage tout entier lui posait un défi. Pourtant assermentée, la masse des besogneux éveillait en lui ce malaise en forme de mauvaise humeur. Du plus humble serviteur mécanisé pour avoir commis une faute grave jusqu'à l'amiral noblement converti, fils d'officier et homme de confiance s'étant octroyé les bonnes grâces de la Sainte Cléricature, tous étaient de potentiels traîtres. Après tout, cette large troupe ne se rendait-elle pas là où la Mystère demeurait entier ? N'était-ce pas un bon prétexte pour tenter une action d'éclat comme il n'y en avait pas eu depuis une trentaine d'années, comme à Vladivostok ? Flinn savait qu'il n'aurait pas dû être si méfiant et si sauvage, que sa nature animale n'était pas une raison valable à ce déchaînement de suspicion et d'interrogations qui menaient son enquête vers d'insondables puits d'ignorance. Il savait tout cela, mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Même hors d'une mission, un Inquisiteur restait un Inquisiteur : une force fine du culte Mécaniste, un Noble Clerc formé au pire pour détruire l'abject et l'hérétique. Alors, convaincu de la nécessité de sa tâche, il se concentra à nouveau, son mufle noir d'ours porté sur la projection. Un coup retentit contre la porte de la cabine. Il grommela, marmonnant noms d'oiseaux et insultes légères entre ses crocs, avant d'abdiquer.
— Entrez donc.
L'hui métallique se déroba. La figure hâve de Cyrill Beik se présenta, un sourire familier sur les lèvres, son regard illuminé par la coloration lumineuse des implants oculaires. Une couronne de cheveux gris et un bouc soigneusement taillé contrastaient avec la tenue austère, une cape sans insignes et des bottes de cuir noir tout aussi terne. Le Major Inquisiteur Beik, figure de la docte mécaniste et officier notoirement connu pour son sadisme n'effrayait pas Flinn. Bien au contraire. Le même sourire teinté de cynisme illumina son visage, révélant le trait épais de ses babines, qu'un spasme anima discrètement pendant quelques instants.
— Cyrill, je ne vous attendais plus, grogna joyeusement Flinn.
— Tu connais le système, Flinn. Des vérifications dans tous les sens, le vaisseau qui dérive parfois légèrement, des cybernautes trop occupés, et puis une ou deux affaires de boisson ou de drogue.
— Sale temps pour le plaisir, ironisa le Naneyë.
— Et bonne époque pour les affaires de la Sainte Cléricature. De ton côté, avances-tu ?
L’intéressé secoua la tête.
— Hélas, non. J'ai eu beau fouiller tous les dossiers fournis pour le Rezo local, aucun élément n'indique la trace d'un traître à bord. Peut-être que le serviteur avait juste des hallucinations, après tout.
— Des hallucinations ?
Cyrill se rembrunit.
— Un serviteur mécanisé, complètement dépendant du Dieu-Machine, incapable de ressentir ne serait-ce qu'un ersatz de sentiment, avoir des hallucinations ?
— Pardonnez-moi, Cyrill.
— Si tu n'étais pas Flinn et que je ne te connaissais pas si bien, tu aurais révisé tes classiques, crois-moi, siffla Cyrill. N'oublie pas où nous allons. N'oublie pas quelle date approche. Et n'oublie pas que la Sainte Cléricature ne fléchit et ne regrette jamais.
— Bien sûr, concéda Flinn.
— Il n'y a pas d'erreurs possibles. Alors reprends ta tâche.
Cyrill tourna les talons, laissant son ancien apprenti seul dans la semi-obscurité de la cabine. Avec un soupir résigné, Flinn se replongea dans ses projections.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire